L'IMPRESSONNISME ET LA MODE @ MUSEE D'ORSAY, PARIS


Une exposition où l'on va en sachant déjà ce que l'on va y trouver, c'est plutôt mauvais signe. Tel est le cas de L'impressionnisme et la mode, présenté jusqu'au 20 janvier 2013 au Musée d'Orsay : qui s'attendait à trouver des tableaux mis en regard avec des robes d'époque et des gravures de mode sera servi. Et si l'on s'autorisait également à penser que cette exposition serait pleine d'amalgames, l'on ne se trompait pas. La première incohérence se trouve sur l'affiche : derrière le titre trône la Victorine Meurent au bouquet de violettes de Manet : La femme au perroquet, tableau qui n'a rien d'impressionniste si l'on s'en réfère à la définition classique selon laquelle le peintre saisit une impression plutôt qu'une réalité, ne se soucie pas du détail, etc. D'ailleurs on ne peut pas qualifier Manet, aux vues de son oeuvre entier, d'impressionniste : il en est le précurseur, certes, mais pas une figure de proue.

Pourtant l'acception de l'impressionnisme que les commissaires de l'exposition ont choisie dépasse bien celle plus traditionnelle, si l'on s'en tient aux tableaux présentés qu'aucune cohérence ne gouverne.
En effet, qu'ont à voir ensemble aux côtés de Renoir, Degas, Monet,  (incontournables car il faut bien donner satisfaction à tous ceux, touristes mais pas que, qui payent pour les admirer à Orsay), de l'inclassable Manet, James Tissot adulé de la haute société victorienne, Albert Bartholomé dont la majeure partie de l'oeuvre sculptée est symboliste, et surtout Gustave Courbet, dont le réalisme est aux antipodes des impressions recherchées plus tard? Leurs peintures de femmes suffisent-elles à les réunir sans friser le ridicule? Peut-on seulement leur prêter une volonté de montrer des tenues, plutôt que des êtres?

Quand Manet peint Victorine Meurent ou Berthe Morisot, il peint des Femmes, et les robes qui les enveloppent font partie d'elles ; c'est la même chose que dit Baudelaire dans des citations affichées et récupérées comme si le poète était un fin connaisseur des tendances de l'époque, alors qu'il ne parle de la mode que comme servant l'aura de féminité de la Femme, qu'il vénère.

Quand Tissot peint des bourgeoises (les mêmes, finalement, que celles qui arpentent 150 ans plus tard l'exposition en s'exclamant que “c'est magnifique”), l'on veut bien croire qu'il peint leurs toilettes puisque ces portaits sont des commandes, qui font sa popularité et qui le font vivre.
Mais qu'on ne prête alors pas au peintre l'initiative qu'il n'a pas eue, dans tous les cas, de rendre compte de la mode de son époque. Le rapprochement fait entre les deux notions qui gouvernent l'exposition est une invention de théoriciens aussi artificielle qu'anachronique.

Pourtant, l'exposition réserve une surprise : l'étendue du mauvais goût dont elle fait preuve, de par des citations d'une banalité terrible aux murs à propos de la parisienne qui n'est pas à la mode mais qui est la mode, et – surtout - de par sa scénographie. Si encore elle s'était limitée aux papiers-peints en rapport avec les oeuvres des salles, comme traditionnellement, l'on aurait rien trouvé à redire.
Mais Robert Carsen a tenu à mettre sa patte en créant - carrément ! - des ambiances. Nous sommes donc censés être au théâtre quand un fond de musique classique se fait entendre, que les murs sont rouges et que le long de la salle sont disposées deux rangées de chaises assorties de cartels qui portent des noms de personnalités diverses de l'époque (un sacré méli mélo, comme si par exemple Dumas père et Rimbaud avaient été de la même génération et que tout ce monde se retrouvait au théâtre pour parler peinture et mode!). ..


Mais le comble reste la dernière salle : pour nous suggérer l'ambiance des scènes en extérieur, les murs sont peints en bleu ciel, l'on marche sur de la pelouse synthétique avant de s'asseoir sur un banc de parc public, le tout sous des enregistrements diffusés de chants d'oiseaux.
Philippe Dagen, dans Le monde, achève à ce propos son article en commentant : "Il ne manque qu'un arrosage automatique". C'est comme si les tableaux ne se suffisaient plus à eux même, qu'ils ne nous surprenaient plus, et qu'il nous fallait être dans un certain état d'esprit, conditionné par un décor artificiel, pour les apprécier. Cela traduit d'un besoin de renouveau en face de ces tableaux qui se trouvent là recyclés, dans un contexte qui a besoin de se justifier.

Mais, finalement, qu'importe tout cela, les incohérences, les conclusions vite tirées et le mauvais goût, puisque n'importe quelle exposition dont le titre contient le mot "impressionnisme" est assurée de faire beaucoup d'entrées? En parlant de mode, on s'attire également un public glamour et féminin, facile à séduire lorsque l'on joue la carte de l’impressionnisme que tous connaissent.
Dans ces temps de pénurie budgétaire où les musées voient leurs subventions de l'État dégringoler, et où la démocratisation culturelle est de rigueur et où les société privées prennent le relais du financement de la culture (L'impressionnisme et la mode n'aurait par exemple pas existé sans LVMH et Christian Dior), la mode, justement, semble être  aux expositions qui pour s'assurer un chiffre d'affaire, sacrifient leur contenu et leur qualité.

Mathilde de Morny