SEBASTIEN TELLIER @ TRIANON, PARIS


Sébastien Tellier, soit on l'aime, soit on le déteste. Quelques semaines après son passage remarqué sur le plateau de Ruquier (dans un état second, réellement ou pas, personne ne le saura jamais), l'homme qui se fit connaître aux yeux du grand public lors de son passage à l'Eurovision (2008) nous donnait rendez vous en ce début d'été au Trianon, à Paris. Après s'être attaqué à la politique et au sexe, le géant barbu s’apprête à défendre sur scène son quatrième album, My God Is Blue, qui se veut être une sorte de Bible pour l'Alliance Bleue, mouvement créé par ses soins. Avant de l'avoir vu, nul n'est capable de dire à quoi ressemblera le concert du petit frère des Daft Punk.

Quelle ne fut ma surprise, en arrivant, de voir le public se précipiter sur les balcons ! Car oui, malgré son entourage « à la mode », Tellier continue de faire craquer les trentenaires. On vient le voir en famille, avec les enfants, en costard et chemise, en couple. Surtout en couple. On va voir un spectacle au théâtre, pas pogoter au CBGB. Il n'est pas rare de croiser des cheveux blancs, tout comme il n'est pas non plus rare d'entendre parler une autre langue dans les couloirs du Trianon ce mercredi soir (mes voisins de gauche sont Anglais, de derrière espagnols). N'oublions pas que nous sommes un soir de bac, ce qui n'aide pas les quelques adolescents membres de l'alliance Bleue à se faire remarquer.
Je croise quelques résistants, marmonnant: "on va quand même pas se mettre au balcon", mais ce n'est qu'une légère tribu d'irrésistibles gaulois. Que je recroise 5 minutes après au deuxième étage, bien installés dans leur fauteuil en velours, bière à la main. Le rock trentenaire, donc.

Hypnolove ouvre le bal : la musique des trois toulousains détonne. Tantôt l'on se croirait dans un concert électro allemand du début des années 80 tant leur début de set rappelle Kraftwerk, tantôt on croirait entendre un groupe de pop hawaïenne. Ce mélange joyeux donne le sourire, et quelques silhouettes commencent à se trémousser.
Mais les quelques « Sebastieeeeen » criés entre les morceaux d'Hypnolove nous rappellent pourquoi on est là.

Après un bref entracte, la musique et les lumières s'éteignent brutalement, pour laisser place à une douce lumière bleue. Sous les cris de la foule, on commence à distinguer les premières notes de « Pépito Bleu », single extrait du dernier album.
S'ouvre alors le rideau : à gauche se trouve le batteur (qui joue par ailleurs sur une batterie électronique, ce que je n'avais plus vu depuis Stephen Morris), et à droite un homme-claviers ; au centre se trouve la place vacante de Tellier, qui ne tardera pas à faire son apparition. C'est tout. Pas de choristes, de bassiste, de deuxième pianiste, de trompettiste (oui car il y a de la trompette dans les albums de Tellier), rien de tout cela. C'est dommage, car tout le long, le concert souffrira du manque de vie de cette configuration : les deux musiciens sont coincés derrière leurs instruments, et Sébastien Tellier est donc le seul à essayer de donner du mouvement à la scène. Or quand il joue du piano, les trois membres sont immobiles, ce qui manque sérieusement de punch et de dynamisme.


Mais finalement, il vaut mieux laisser planer ses oreilles plutôt que s’arrêter sur des détails concrets. Tellier et son Pépito Bleu nous plongent tout de suite dans une atmosphère planante à la limite du mysticisme. Le barbu surenchérit en nous parlant à la fin du premier morceau en ces mots : « L'alliance Bleue vous souhaite la bienvenue dans le temple de lumière. Je vous aime autant que le Dieu bleu m'a aimé. » Puis arrive Against The Law , avec un long final qui nous rappelle que Sébastien Tellier est loin d'être un mauvais guitariste.
Cependant, après une autre chanson (Sedulous), le musicien nous parle d'un coup comme si l'on se connaissait depuis longtemps, en nous disant que la prochaine chanson, il l'aime bien, etc, que en live elle est sympa à jouer, etc.. Plus aucune trace de Tellier le gourou donc, celui que l'on n'osait regarder dans les yeux au début du concert (c'était de toute façon impossible à cause de ses sempiternelles lunettes noires – ayant tout de même une touche de bleu). C'est aussi regrettable, de ne pas se tenir à une ligne de conduite dans le discours envers le public. Mais bon, tout cela n'est qu'une coquille, retournons à la musique.
Arrive donc Cochon Ville. Malheureusement, personne n'enlève ses habits comme dans le clip, mais le rock  funky nous arrivant en pleine face se charge de le faire pour nous. La chanson est rallongée par un final plus disco que disco, à en faire pâlir Benny Andersson; et les quelques puristes dont je fait partie qui commençait à regretter sévèrement l'absence de basse sur une telle chanson furent renvoyés dans leurs sièges par un solo de bass-synthé de l'homme-claviers, qui nous montre qu'il n'est pas né de la dernière pluie.
S’ensuit Finger of Steel (Sexuality), qui voit Tellier distribuer à la foule des roses blanches - pourquoi, je ne sais pas – puis un savant mélange de chansons d'hier et d’aujourd’hui ( Russian attractions, My Poseidon, Kilometer, Sexual Sportswear, Divine et la foule en délire, My god Is blue).
Ensuite Sébastien Tellier nous livre une de ses premières compositions, avec une amorce très limite (« cette chanson est pour les indiens d'Amérique […] Il faut penser à eux, parce que déjà, physiquement, ils ont pas eu de bol... »). Enfin, sans un mot, dans le calme d’après tempête, il s'installe derrière son piano. Un regard aux deux musiciens, puis il se lance. Et nous rappelle ce pour quoi nous sommes venu. Qui il est vraiment. La Ritournelle fait partie de ces chansons que l'on ne peut qu'aimer, et qui a d'un coup littéralement transporté le public dans une autre dimension. La salle est en apesanteur pendant 5 minutes. Un pur bonheur.

Le public est en transe, c'est donc fort logiquement que Sebastien Tellier reviens pour un rappel, et prolonge l'état léthargique de l'assemblée avec L'Amour Et La Violence. L'homme- claviers nous achève avec une partie d'orgue solo durant bien trois minutes, avant que les trois compères ne concluent sur Yes, it's possible .
Sebastien Tellier sera rappelé une seconde fois, et nous jouera seul un version acoustique de Roche, que tout le monde attendait depuis le début, après avoir vidé devant nos yeux une bière d'une seule gorgée. Du pur Tellier.

Alors, même si les choix de la composition scénique sont discutables, que nous ne savions pas si on avait affaire à un gourou ou à un vieux pote, Sébastien Tellier nous a prouvé que malgré ses multiples frasques, om reste un des compositeurs les plus doués de sa génération. Il ne révolutionne peut-être pas la musique, ne transcende pas les foules, mais la qualité de sa musique ne peut que donner le sourire à qui vient le voir, qu'on ait dix, vingt, quarante, ou soixante ans. Tout le monde s'y retrouve. C'est peut-être ça, finalement, sa révolution.



Louis Lancelle
Crédit photos : Fabrice Crenel