TAKE A DRAG OR TWO W/ SEBASTIEN TELLIER


Bonjour Sébastien, on te retrouve pour ton 4eme album ; après avoir traité les thèmes de l'enfance (L'incroyable vérité, 2001), la politique (Politics, 2004), et le sexe (Sexuality, 2008), ton dernier album, My God Is Blue  parle de religion. Pourquoi ces thèmes, et celui ci en particulier ?

Parce que tout simplement, j'ai écrit l'histoire de ma vie quand j'avais 20 ans, j'ai écris que j'allais faire tout ces albums là. Seulement, je ne savais pas trop dans quel ordre, etc, mais je savais qu'à un moment je devais faire un album spirituel ; en fait cet album là je voulais le faire sur la Terre, la planète Terre, mais finalement quand je jouais du piano en pensant à la terre, rien ne me venait, donc j'ai fait cet album spirituel.
Mais c'est normal, j'ai envie de m'attaquer à tout les sujets qui me dépassent, tout les sujets que j’estime supérieurs à l'humain. Des thèmes comme la famille, la politique, et le sexe nous dominent, nous sommes les marionnettes de ces thèmes là ; ce sont ces thèmes là que j'aime aborder.

Penses-tu que cet album spirituel, voire sectaire, ait été influencé par ton père, qui était très proche de Magma (groupe psychédélique des années 70 ayant même inventé son propre langage, ndlr) ?

Pour être précis, il n'a pas joué dans magma, il jouait avec les musiciens de Magma avant que Magma s'appelle Magma, mais n'a jamais fait partie du groupe Magma. Effectivement, j'ai toujours été baigné dans cette ambiance psychédélique, j'ai toujours été fan de vaudou etc, et quand j'étais ado j'avais vu un reportage d'un grand réalisateur qui s’appelait Jean Rouch, « Les maîtres fous »,dans lequel on voyait tout un village accéder à la transe grâce au « Khat ». C'est une sorte de plante qu'on mâche et qui rend complètement barjo, on bave, on devient n'importe quoi, certains pensent être des voitures, d'autres des chevaux. Ça m'avait fasciné ce truc là, et depuis je suis toujours fasciné par les sectes, le vaudou, je dirais tout ce qui est spiritualité... (cherche ses mots).. Underground.

Ton premier album était produit par Quentin Dupieux (Mr Oizo), Sexuality par Guy Manuel De Homem Christo (moitié de Daft Punk) et cette fois-ci tu t'es tourné vers Gilles Bousquet (Mr Flash). Comment choisis tu l'homme qui posera son empreinte sur ton album ?

Je n'ai pas choisis Guy Man parce que déjà, je suis censé me renouveler entre chaque album, et que pour Sexuality, j'avais envie de définir une sorte de norme de la sexualité, définir en musique la sexualité normale, je dirais, et Guy Manuel était parfait pour faire ça. A la fois groovy mais clean, c’était parfait.
Mais là j'avais envie d'autre chose. J'avais besoin de travailler avec quelqu'un d'aussi fou que moi, quelqu'un qui aime la grandiloquence, c'était très important pour moi. Mister Flash, lui, il aime la grandiloquence, il aime les roulots compresseurs, quand tout est trop fort, et j'avais besoin de ça. Faire un album spirituel, ça se ramène à Dieu, c'est par delà le ciel ! Il faut qu'il y ait des ouragans, il faut qu'il y ait des montagnes, il faut qu'il y ait des nuages immenses, et Flash, lui, pouvait m'apporter ça.

As-tu des rituels avant de monter sur scène ?

Non, j'ai une sorte de porte bonheur, c'est un petit père Noël, tout moelleux, qui est très mignon, et c'est mon petit porte bonheur, je l’emmène toujours avec moi en tournée, dans le bus je le met dans ma couchette, et sinon il est dans mon sac ou dans ma valise.
Mais sinon, à part ça, j'ai rien de spécial. Normal quoi : le rituel, finalement, c'est d'enfiler ses vêtements de scène, de se coiffer, et de bien tout se remémorer, le set, comment je vais jouer, si j'ai envie de jouer sauvage, si j'ai envie de jouer soft, et voilà, c'est comme ça que je me prépare.
Moi je me suis toujours moqué, à tort évidemment comme à chaque fois que l'on se moque, de ceux qui faisaient des vocalisent etc, ou qui se rassemblaient en se donnant la main (rigole) ! Moi j'ai rien de tout ça, je monte sur scène comme j'irai faire du shopping.

A propos de la scène justement : en studio c'est toi qui compose toutes les parties ; quel effet ça fait de ne pas les jouer sur scène ?

Au début de ma carrière, ça me paniquait de ne pas pouvoir tout contrôler, mais ça c'est quand on débute dans la musique. Quand on débute on a tellement peur que ça rate qu'on veut tout controler. Mais finalement c'est un défaut par ce que c'est un frein à l'évolution. Donc finalement aujourd'hui, je laisse un peu plus les musiciens s'exprimer. Alors ça ne veut pas dire qu'il y a des solos de batterie, de solos de saxophones, je déteste ça. Mais, la basse, elle peut s'exprimer, elle peut s'envoler par rapport au disque. La Dans mes concerts, les musiciens ont le droit eux aussi de s'exprimer, et finalement, aujourd'hui, je le vis extrêmement bien. C'est même un plus : c'est comme si chaque soir ma musique était remixée. Pour moi c'est un immense bonheur.
Et puis aussi j'ai compris que vouloir trop jouer, sans arrêt sauter d'un instrument à l'autre, au final ça nuisait à la qualité du spectacle. Moi finalement aujourd'hui je me concentre sur le chant, je joue de temps en temps du piano, de temps en temps de la guitare, et finalement ça me permet de mieux chanter, de mieux me concentrer, j'ai plus le temps de prendre ma respiration entre les morceaux, donc ça améliore la qualité du spectacle.

Aurais-tu envie dans un futur plus ou moins proche, de faire autre chose que de la musique (Il a déjà joué dans plusieurs films de Quentin Dupieux, ndlr)?

Oui ! Finalement, tout m'intéresse, enfin, dans une certaine limite. C'est pour ça aussi que j'ai créé l'Alliance Bleue, le mouvement que  j'ai inventé avec le disque, pour dépasser simplement la musique. J'aimerai avoir la chance un jour de concevoir des maisons. Je considère l'architecture comme un art majeur. Créer des espaces dans lesquels on se sent parfaitement bien, moi je trouve ça tres beau ! Un tableau on le regarde, la musique on l'entend, l'architecture on vit dedans. L'architecture c'est l'espace, et je trouve ça formidable. Créer des maisons, des bâtiments, ça me plairait énormément.
Après, c'est sur que j'aime le cinéma, mais ça je sais que j'en ferai, et que ce sera dans très longtemps. J'ai trop de respect pour les grands cinéastes, et moi je viendrait avec un truc merdique ; si je fais du cinéma ce sera  des très mauvais films. Pour être un grand cinéaste, il faut être un grand technicien, bien sur un artiste, un poète, mais aussi il faut être rigoureux, savoir donner des ordres... En studio pour enregistrer un disque c'est facile. On est pas beaucoup, maximum 5, 6 dans le studio, c'est facile. Le cinéma c'est autre chose. Il faut vraiment être quelqu'un de très performant. J'ai trop de respect envers tout ça pour m'y jeter maintenant, mais peut-être un jour je ferai du cinéma, je sais pas.
En tout cas ce qui est sur, c'est que j'ai envie de tout faire ! Après, est-ce que je ferai tout ? Certainement pas.

Pourquoi chanter en plusieurs langues et ne pas se cantonner à une seule ?

Justement, moi, je fais dans la grande tradition musicale. La musique est éternelle mais elle a commencé un jour. c'était des sons, des bruits de la nature, l'homme est devenu intelligent, il a commencé à taper sur des trucs, à faire des petites notes, et puis ça a évolué jusqu'à l'opéra, l'opérette, etc, et c'est une période que j'adore de la musique. Souvent à l'époque les compositeurs composaient leur musique puis choisissaient le langage en fonction de la mélodie : l'italien pour l'amour, les aiguës,... Moi je fais pareil. Je compose la mélodie et je choisis en fonction de la, mélodie en quelle langue je vais chanter. Certaines langues mettent plus en valeur la mélodie ; c'est ce qui compte pour moi en tant que musicien.

Qu'est ce que tu écoutes en ce moment ?
En ce moment j'écoute beaucoup Grace Jones, j'ai eu un gros come back de Grace Jones comme beaucoup de gens en ce moment. J'écoute aussi beaucoup Lucho Battisti et un chanteur qui s'appelle Bernard Ilous, son album s'appelle Pelle Mêle, et dedans il y a une chanson qui s'appelle la route à l'envers, qui est absolument merveilleuse. Très bizarrement, ça n'a strictement rien à voir, mais j'écoute beaucoup Gerard Lenormand.
Là, je sors en fait de 4, 5 ans de musique italienne totale. J'écoutais que de la musique italienne. Et maintenant, je commence à en sortir un petit peu. J'aime toujours autant, mais il faut bien que je passe à autre chose. Je suis repartit à la conquête de la pop européenne, toute la pop européenne sauf la pop anglaise parce que, bon, on la connaît par cœur. Tout le monde écoute ça, les beatles, les stones, quand on est adolescent. On connaît tout par cœur. Donc j’essaie de découvrir vraiment toutes les pops européennes.

Et quand tu étais petit ?

Quand j'étais petit j'écoutais beaucoup François de Roubaix, parce que mon père l'adorait. Il faisait beaucoup de musique de films, de documentaire, et était passionné de plongée : c'était un des premiers en Europe à avoir un mini sous-marin personnel, tu sais, comme dans James Bond. Lui il avait ça ; il est mort comme ça d'ailleurs.
Petit j'écoutais ça, Gainsbourg, et Abba aussi. Mais c'était pas mes choix, c'était ceux de mes parents. Beaucoup de Pink Floyd aussi... En fait, petit, j'ai surtout écouté Pink Floyd ! Tout les dimanches, on se faisait au moins deux trois albums des floyds, tous les dimanches matin.

Comment expliques-tu que tu sois un artiste étiqueté French Touch, alors que ta musique se rapproche mille fois plus d'un William Sheller que d'un SebastiAn ?

Je sais pas, j'ai jamais compris les classifications ! Mon premier album, il n'y avait quasiment pas de batterie dessus, et j’étais classé dans les magasins au rayon trip-hop, alors que la base du trip-hop c'est justement un énorme rythme lent (rigole) ! J'ai jamais compris mais je pense que justement c'est une qualité parce que la French Touch, j'aime bien. J'aime les groupes comme Daft Punk, j'aime les groupes comme Air, Cassius etc. Mais effectivement moi je fais autre chose. Moi le but ça n'a jamais été la danse, faire danser les gens, je ne suis pas un spécialiste des remixes... Bien sûr que je fais des disques électro, mais c'est pas du tout fait avec une âme électro. Je me sens différent.
Mais aussi je dois beaucoup aux groupes de la French Touch. Sans eux, j'aurai pas pu, moi, exister. Les Daft Punk m'ont prêté leurs synthés au début, Air m'a prêté son studio pour mon premier album... Ils m'ont énormément aidé. Philippe Zdar (Cassius) m'a donné des conseils, il est venu m'aider à finir des morceaux... Tout ça, pour moi, c'est des amis pour la vie. Ils m'ont énormément apporté. Artistiquement, je n'ai peut-être qu'un pied dans la french touch, et l'autre pied complètement ailleurs, dans l'espace, mais humainement ce sont des groupes qui m'ont énormément aidé. J'ai appris à faire de la musique grâce à eux, en les regardant travailler. Ils ont commencé presque dix ans avant moi (Le premier Daft Punk date de 1993) ! Ils avaient déjà de l’expérience, et donc moi, j'ai appris avec eux.

Qu'est ce que tu penses du coup de la musique électro actuelle, avec la dubstep qui est en train de manger à peu près tout ?
Je trouve la musique électronique actuelle formidable, dans le sens ou c'est la seule musique qui évolue. Le reggae n'évolue pas, le rock n'évolue pas, le jazz n'évolue pas, la musique classique n'évolue pas... Le R'n'b a longtemps évolué ces 20 dernières années, mais là ça fait quand même trois quatre ans que ça n'évolue plus. Donc l'électro, à mon sens, est la seule musique qui évolue. Il y a encore des nouveautés de temps en temps. Tiens, voilà un nouveau son ! Tiens, voilà une nouvelle façon de faire ! Et ça j'aime bien. C'est motivant. C'est le seul style de musique qui aujourd'hui continue d'avancer. Bon après, il y en aura d'autre. Si ça se trouve, il y a un grand génie qui va arriver, tout d'un coup, et qui va renouveler la folk. Mais on l'attend, on sait pas. Pour l'instant, en tout cas, il n'y a que l'electro qui continue de progresser, pour moi.

Quand était la dernière fois que tu t'es dit : « Je ne referais plus jamais ça » ?

(Réfléchis longuement)
Ah oui ! L'autre jour, pour une émission télé, sur le plateau du grand journal, quelqu'un avait eu l'idée de me faire arriver par le ciel. Et c'était super comme idée ! Mais donc on m'a attaché à une sorte de corde, avec des trucs d'alpinistes ou je sais pas quoi, et j'avais une sorte de harnais, et j'osais pas lâcher la corde. Tout le monde me criait « mais lâche toi, lâche toi, vas-y ! ». Je me suis lâché, en fait, je suis partiten vrille et tout, et j'ai failli... J'ai failli me tuer quoi ! Les mecs se sont complètement foirés. Donc je me suis dis : plus jamais de trucs avec des cordages ou des harnais, plus jamais ça de ma vie.

Qu'est ce que tu penses du téléchargement illégal ?

Moi ça me dérange pas. Ce qui m'a toujours obsédé, moi, c'est la gloire. Le fric, j'adore. Mais par delà le fric, j'aime encore plus la gloire ! Donc moi, ce que j'appelle la gloire, c'est aussi le fait que les gens puissent écouter ma musique dans leur chambre, dans leur salon, dans leur voiture, que ma musique soit la plus écouté possible, ça ça me plaît vraiment ! Donc moi ça ne me gène pas du tout le téléchargement illégal. C'est vrai que c'est en train de tuer les maisons de disques. Mais ça ne tue pas l'art de la musique. L'art de la musique, lui, qu'on gagne de l'argent ou qu'on en gagne pas, les véritables artistes continueront à faire de la musique. Moi je suis né pour faire de la musique. Et si, étant musicien, on devait gagner le RMI, que j'ai touché pendant des années d'ailleurs, et ben j'aurai quand même fait musicien. C'est la véritable passion de ma vie. Ce que j'aime c'est briller en faisant de la musique, et ça, rien ne peut le tuer. Même pas le téléchargement illégal.
Par contre, c'est vrai que les maisons de disques en souffrent. Et c'est dommage parce que moi j'ai toujours envie de faire des grands spectacles, à la Jean Michel Jarre mais dans un autre style évidemment, et ça c'est de moins en moins possible parce que l'argent n'est plus là. Moi je rêve de trucs pharaoniques, mais l'argent est très dur à trouver. Çà c'est un petit peu dommage. Mais finalement moi, dans mon esprit, ça ne change quasiment rien. Ce que j'aime c'est la musique ; les ventes, etc, ça ne change rien à la gloire en tout cas.

Tournes-tu à l'étranger ? Est-ce que tu aimes ça ?

Alors oui, les dates ne sont pas encore inscrites sur le machin, mais je tourne beaucoup à l'étranger. La dernière tournée j'ai fait 180 concerts en tout, mais j'en ai fait que 40 en France. J'ai quand même fait 140 concerts à l'étranger, ce qui est quand même pas mal, quoi. Surtout en Scandinavie, Angleterre évidemment, j'ai été 17 fois en Belgique sur l'ancienne tournée, la Suisse, les États-Unis, et le Japon. J'ai été un petit peu en Russie, mais j'ai fait que deux concerts là bas. Je tourne beaucoup à l'étranger. On ne s'imagine pas comme ça, justement, mais finalement, admettons que ma tournée dure un an et demi,  je passe plus d'un an à l'étranger. Donc finalement, j'ai pas mal d'activité à l'étranger. Heureusement.

Le webzine s'appelle Take a drag or two, si vous pouviez tirer une taffe ou deux sur la cigarette de quelqu'un de connu, ce serait qui ?

Ah, la clope de quelqu'un... Euh... Qui c'est que je prendrais... Mmmh... Qui c'est qui me plaît vraiment... Kelly Brooks. Tu vois qui c'est ? Elle joue dans Piranha 3D C'est une petite actrice américaine. Enfin, elle est anglaise, mais elle joue dans des films ricains.

Un pur choix musical, donc ..

(rigole) Non, non! Kelly Brooks, c'est pour avoir le parfum de sa bouche, le goût de sa bouche !

Propos recueillis par Louis Lancelle
Un grand merci à Aurore Brière