EXPOSITION POUR UN ART PAUVRE @ CARRE D'ART, NÎMES

L’Art Pauvre – issu du mouvement italien des années 60 « Arte Povera »- en voilà une formule intrigante ! A l’heure où l’art cherche plus que jamais sa définition dans le même temps qu’il devient un véritable marché, le mot « pauvre » prend tout son sens.

Si cette exposition – présentant le travail de huit sculpteurs venus du monde entier – n’a pas la prétention de réduire l’art à une définition étriquée, elle nous donne cependant une de ses nombreuses facettes et plus précisément ce à quoi il peut prétendre ressembler en 2011.




Avec l’Art Pauvre, le support traditionnel est aboli : la sculpture ne trouve plus ni de socle ni vraiment de « matière première ». Celle-ci est issue d’un procédé de collecte, de récupération : l’économie de moyens est le maître mot de ce travail sur la sculpture de notre siècle.


Si la sculpture est jeu avec l’espace, il est issu réduit à l’essentiel. Et même, les œuvres présentées semblent toujours en cours de construction de sorte à ce que l’on ressente l’élan artistique de création qui a fini par amener cet étrange cendrier, cette poudre à maquillage, cette immense poutre dans les salles blanches du White Cube nîmois. Cet élan artistique qui nous est donné à ressentir c’est en quelque sorte la métaphore de notre monde moderne qui est en perpétuel mouvement. Les hommes et les femmes du nouveau millénaire s’activent sans jamais s’arrêter comme sous le coup d’une sorte d’inspiration permanente et se plaisent à construire et à déconstruire comme si cette vie ne devait être qu’un chantier à rebâtir, à faire idéal à partir de rien, pourtant.

Dès lors, ce n’est pas une surprise si l’exposition elle-même ressemble à un chantier. Une poutre posée en déséquilibre contre un mur, qu’a-t-elle à nous dire ? Quelle est sa place dans le Carré d’Art ? En faisant de cette pièce de bois brut une œuvre d’art, Katinka Bock tente de nous dire la fragilité, l’instabilité de notre monde. C’est difficilement que cette poutre trouve l’équilibre, et peut-être le trouve-t-elle seulement grâce à l’Art : ici, dans cette salle d’exposition où des centaines de personnes passent, son destin n’est plus de soutenir, cachée, une construction mais bien d’être le fil conducteur d’une pensée que tisse l’exposition. Elle se tient là comme une chance à saisir, véritable métaphore du champ des possibles d’aujourd’hui : construire, déconstruire, reconstruire ; le choix se tient là devant nous et l’on réalise que cette poutre, autant que chaque visiteur, fait partie de la construction du monde moderne où rien n’est plus sûr que l’incertitude elle-même. D’où vient  ce besoin de renverser l’Art, de l’épuiser jusqu’à obtenir sa substance, son ultime définition ? C’est bien là le mal de notre époque, tout semble à redéfinir mais ce travail laborieux et peut-être un peu déprimant ne peut se faire que dans une mouvance jeune et convaincue que l’Art Pauvre tente de créer.



Au-delà de ça, une véritable dualité habite cette exposition où s’affrontent la ville impersonnelle et l’environnement familier. Karla Black nous renvoie à l’intime en appliquant de la poudre à maquillage par centaines de milliers de grains sur le sol du Carré d’Art mais cette dimension extrême qu’elle prend n’évoquerait-elle pas une forme de fragilité, de déconstruction de l’individualité au profit de l’universalité ? C’est bien une humanité monumentale qui se dégage de son travail et qui devient presque effrayante tant elle renvoie au plus commun.

Il en va de même pour le travail de Thea Djordjadze qui trace à l’aide de matériaux les plus simples, d’éléments de construction les plus rudimentaires l’espace de l’intime : une sorte de cabane d’enfant ou de décor de théâtre minimaliste qui nous renvoie autant au personnel qu’à l’impersonnel dans une terrible confrontation de ces deux termes.


Pour donner une conclusion à une exposition qui n’en exige pas vraiment, l’on peut voir l’Art Pauvre comme cette partie de l’art contemporain qui nous touche plus avec des idées, des références, des évocations successives que par la beauté plastique de l’œuvre. Quel intérêt y aura-t-il à emprisonner la beauté dans le White Cube quand le propos de l’exposition est justement de nous signifier qu’elle est partout : dans le plus simple morceau de bois que le champ des possibles invite autant à intégrer dans une construction qu’à transformer en œuvre d’art, dans cette universalité dévorante où il faut lutter pour imposer son individualité, dans une habitude ou un instant que notre mémoire chérira toujours (Autoportrait détumescent et post-keynesien, nostalgique du sexe matinal en prenant un café serré avec du sucre (et un petit chocolat) – CRUZVILLEGAS) .

Jessyka